Reset : et si on recommençait le match ?

Cette touche reset, celle des consoles 8-bit que l'on pressait pour recommencer une partie trop mal entamée... Qu'est-ce qu'on aimerait l'avoir dans la réalité !

C'est bien ce que réalisent quelques acteurs culturels rouennais investis dans les musiques actuelles : Distance Tour Booking, Mouton Noir Records, Le Kalif, et le collectif Heavy Club.

Il s'agit de redistribuer la donne en ces temps de crise où la culture vivante, celle du spectacle à visée collective, se voit interdire de proximité, d'interaction directe... d'existence.

Trouver des solutions, mais où ?

Simplement dans la richesse du territoire. Dans le désir des musiciens, artistes visuels et techniciens, de continuer à exister. Pour exister, aujourd'hui, il faut donner à voir ; à montrer.

C'est pourquoi Reset se propose de capter, au sein d'une identité visuelle fortement établie, des performances musicales croisées, collaboratives, entre groupes et musiciens de tous horizons, dans des lieux choisis -la Normandie disposant de myriades de terrains de jeu, à l'histoire ancienne ou industrielle, le choix du décor s'étend de façon infinie. Galeries, commerces-phare, lieux clés de la ville mais aussi de son territoire étendu, deviendront ainsi le plateau vivant d'une nouvelle partie, où se croiseront à nouveau magie et savoir-faire.

Le résultat ? Il sera enregistré et montrable. Audio, vidéo, graphisme : c'est une expérience totale que Reset entend mener.

Alors, on rallume ?

> facebook > instagram

Christine/Zadig
>Dead_Moon
version_1.3
Christine/Zadig
>Dead Moon

Troisième rencontre orchestrée par Reset : Zadig et Christine pour un saut dans l'espace-temps.

C'est dans le décor intemporel de la bibliothèque Oscar Niemeyer au Havre que deux producteurs aux méthodes bien distinctes ont choisi d'illustrer leur création commune exclusive pour le projet Reset. 
Dans ce décor au design rétro-futuriste hérité des esthétiques de l'anticipation des années 70 (Soleil Vert ou Orange Mécanique auraient pu y être filmés en partie : le lieu a été bâti entre 1978 et 1982), la collaboration se déroule dans une ambiance froide, brute, où les basses menaçantes et les thèmes cinématiques répondent aux arrondis, alvéoles et structures surprenantes de cet espace de savoir d'outre-monde. 
Une véritable bande originale d'un film suggéré, qui met en résonance un des lieux les plus atypiques du territoire normand et deux de ses figures musicales les plus porteuses.
 

*****************
 

Comment le lieu a-t'il été choisi ?
Christine : Il y a tout d'abord un affect pour moi, en tant que Havrais d'origine. Le lieu n'a pas été choisi en fonction de ça, mais disons que ça tombe bien. C'est tout d'abord pour ses qualités esthétiques, son agencement de l'espace qui répond à certains critères ; c'est un lieu assez unique dans son genre. On y allait pour rigoler, faire du roller... Je redécouvre la ville à la lumière de ces lieux réagencés, il y a une belle dynamique.
Zadig : Tout correspondait à la musique. Le morceau a un côté « musique à l'image » autant que « club ». Il y a un côté cinématographique, on nage en plein 2001, en plein mystère. La présence des livres accentue tout ça aussi.
C : D'ailleurs on s'est fait la remarque : nos deux projets viennent de la littérature, Stephen King pour moi et Voltaire pour Zadig. Evoluer au milieu de tous ces livres, ça ajoute une strate à la signification.
Z : Tout nous amenait à ce lieu ! On n'avait aucune alternative.

Cette expérience vous pousse-t'elle davantage vers des envies d'impromptu ?
C : Ce projet, né du Covid, nous a poussé à décontextualiser notre pratique. C'est intéressant. Jouer dans des lieux « autres » est une occasion de réfléchir sur nos façon de jouer. Jouer en médiathèque, ou en espaces extérieurs... C'est super, mais un peu épuisant sur une économie à long terme. On ne peut pas s'y placer sur une carrière. 
Z : J'avais fait quelque chose à l'Historial Jeanne d'Arc par exemple. C'est une super opportunité en effet. Ponctuellement, dans des cas précis. Mais dans la réalité, c'est bon aussi de retrouver ses marques dans des lieux prévus pour nos pratiques. 

Quel rôle avez-vous joué chacun sur ce morceau ? Comment avez-vous construit l'ambiance ?
Z : J'avais déjà en réserve une vingtaine d'ébauches simples sur le thème des musiques à l'image. On a choisi cette piste qui est passée dans les mains de Christine, on a échangé. Comme notre première collaboration (Electric Sheep pour les Lomax XP).
C : Sur les images, on a choisi de faire intervenir des gens qu'on respecte, dont on aime la façon de faire. On y retrouve Benjamin du groupe Les Agamemnonz par exemple, il a une stature, une tronche... On retrouve Roches Noires, et d'autres. 
Z : on ne voulait pas d'une vidéo où on voyait deux types pousser des boutons avec des synthés, il fallait de la figuration, une narration. 

Comment décririez-vous le travail de l'autre ?
Z : La musique de Christine est à mi-chemin entre musique imagée et énergie club massive, très produite, détaillée. Passer des heures à bosser des éléments si ponctuels, je ne pourrais pas le faire ; il y a un truc puissant, il se passe quelque chose de cinématique.
C : La musique de Zadig est une expérience, je suis impressionné de le voir travailler comme ça depuis une quinzaine d'années -sous ce nom en tout cas. Cette culture techno pure m'intéresse, ce côté artisan du son, ce savoir-faire. Confronter ces deux approches, l'une très informatique -la mienne- et l'autre plus analogique, avec une grande console et des machines, c'est vraiment une mine d'idées. Techniquement, prendre des idées dans d'autres courants, d'autres façons de faire, nous fait avancer. Dans le rap, l'electro, la pop... Une vie ne suffit pas à apprendre la production.
Z : Il y a des vases communicants. Rassembler le meilleur de ces deux mondes est une aubaine. Moi qui vient d'une musique pratiquement pas arrangée, plonger profondément dans ces détails de mixage est une bonne leçon. 
 

*****************
instagram.com/sheischristineinstagram.com/zadig_aka_ksa
Brook_Line/Modern_Men
>À_La_Conquête_De_La_France
version_1.2
Brook Line/Modern Men
>À La Conquête De La France

Seconde rencontre orchestrée par Reset : Brook Line et Modern Men

Après un premier chapitre consacré à l'introspection et aux tourments intérieurs, les deux entités rouennaises ici présentes se laissent aller au jeu de la confrontation. 
Les deux se connaissent : Brook Line a déjà remixé pour Modern Men leur titre Tirer sur l'ambulance. Les présentations sont faites, et c'est dans la tonalité pourpre, à la fois royale et sanguine, de la salle du Jubé du Musée des Beaux-Arts de Rouen que le duo post-punk et le producteur electro affichent leur goût pour l'hostilité patentée, sous l'oeil des Rois Déchus et des Prophètes Effarés. 

Brook Line, actif depuis 2016, a tout juste 18 ans quand Mouton Noir le repère et l'épaule pour Paradoxe, premier ep en forme de manifeste, aussi dansant que vénéneux. Concerts, sélection pour les Inouïs du Printemps de Bourges, la formule s'affine et après un second format court, Run away, il est temps de passer à l'exercice du premier album. Focus magnifie la formule, embrasse la Nuit comme une amante et précipite l'electro française la tête la première dans les ténèbres urbaines. 

Modern Men, c'est l'Aigle bicéphale formé par A et Q, dont la liste de participations à la scène rock normande est plus longue que celle des insultes qu'a subi Aya Nakamura aux Victoires 2021. De leurs savoirs-faire respectifs ressort une sévère envie d'en découdre, avec tous les outils possibles. Guitares -parfois- machines -souvent- tôle et marteau -autoritaires- et un goût pour la chatouille mentale qu'on disait disparu depuis Charles de Goal, Métal Urbain et l'alternatif proto-industriel. 

*****************
 

Le choix de ce lieu ; majestueux, imposant, reflète-t'il le caractère un peu autoritaire du morceau ?

A (Modern Men) : A la base, ça devait être la salle Caravage. Mais le Jubé, encore mieux, avec ses plafonds encore plus hauts.
Brook Line : Le chais à vin où s'organisent les Concerts de la Région était pressenti au début. Mais l'impossibilité de le faire là-bas a débouché finalement sur une belle surprise. 

Cette opportunité de travailler dans un tel contexte vous fera-t'elle appréhender le territoire autrement, dans le futur ? 

BL : J'ai toujours sollicité des lieux de tournage du territoire : une digue près d'Etretat, le Kindarena... A Rouen, il y en a encore beaucoup à explorer. La Région, comme on s'en aperçoit via Reset, est d'autant plus ouverte qu'on la sollicite intelligemment. 
A : Esthétiquement, l'aspect gothique de cette ville est déjà intégré dans ce que je fais. Une belle aubaine, ici de l'explorer davantage. 

Comment est né ce morceau, dans le contexte actuel ?

A : En tournée avant, on n'avait jamais le temps d'écrire de la musique. Ici, pouvoir composer nous a permis de rester à flot mentalement.
BL : Le fait de varier les projets en confinement a évité une grosse dépression j'imagine. Et puis ça nous laisse plus le temps de faire les choses ; ce n'est pas plus mal de profiter de ces sessions...
Q (Modern Men) : Faire un groupe ici, ça a toujours été compliqué -concerner les gens. Mais ce genre de projet apporte un truc spécial : moins de pression, moins d'enjeux, qui permettent de faire quelque chose de vraiment jusqu'au-boutiste.  

Alors, avec quelles armes conquiert-on la France ?

Q : en perdant ses dents et ses cheveux. Le thème de la « France » comme entité presque fictive, du moins galvaudée, fait partie des sorties du moment. L'entité France ne veut pas forcément dire grand-chose pour les gens à qui les allocutions s'adressent.

Comment vous décririez-vous, l'un-l'autre ?

A : Sexy, raffiné.
BL : Ce côté pas de limites. Pousser tout à fond. L'occasion d'envisager ma musique autrement. Les Modern Men, avec leur instruments pas conventionnels -ressorts, tôles... m'ouvrent à une autre culture que je n'aurais pas eu l'occasion de découvrir autrement. 
A : On s'échange des techniques de production, ce morceau démarre quelque chose.

*****************
instagram.com/_brook_lineinstagram.com/modernmen5024
Museau/Roches_Noires
>Ride_On
version_1.1
Museau/Roches Noires
>Ride On

Première rencontre orchestrée par Reset : le titre Ride On.

Dans un décor intemporel, l'auditorium du Panorama XXL à Rouen, à la fois fonctionnel et graphique, deux artistes ont choisi de tisser des liens autour de cette piste d'electronica tout en crescendo, en suspens, dans une idée de renaissance et de reconstruction. Une page blanche, signe de latence et de temps suspendu, remplie par les vagues acoustiques du duo.

Roches Noires, alias évocateur du producteur rouennais Clément Durand, propose déjà depuis deux single et un Ep une singulière cartographie sonore des accidents du territoire. Vagues glacées, plages désolées sous une pâle lueur d'outre-monde : Roches Noires convoque l'électronique au service de l'organique, explore la noirceur des éléments dans sa quête sonore.

Museau, de l'autre côté, est l'incarnation masquée et totémique d'une plasticienne rouennaise depuis 2019. Maniant l'hyper-pop comme une matière prèhensible, Museau masque son identité et altère sa voix pour mieux entretenir la confusion entre les codes et les genres. En résulte La Horde, un Ep conçu au Costa Rica, invitant des fragments de jungle en field recording.

*****************
 

Comment le territoire normand vous inspire-t'il, et en avez-vous d'ailleurs conscience ?

Roches Noires : J'aime être dans la contemplation, et le territoire ici est propice. Les saisons marquées, les paysages typés me parlent. Je retranscris ça très certainement. Les inspirations du projet Roches Noires sont aussi à chercher dans cette littérature inspirée par cet endroit.
Museau : J'ai une pratique de sculpture qui s'inspire de mon environnement immédiat. Et ce sont les vases communicants avec la musique, qui elle s'inspire de mon travail plastique. J'envisage la matière sonore comme une sculpture. J'ai du mal à dire que je « chante » ; je modèle ma voix. Dans notre titre commun, je pense que cette ambiance de chape construite par cette Normandie qui nous entoure a contribué à nous faire sculpter des sons dans une certaine direction.

Pouvez-vous vous décrire l'un.e / l'autre ?

M : Ce que j'aime chez Roches Noires, c'est la structure en progression de ses titres. Des dynamiques, des sensations ; c'est chargé d'émotions, immersif... et aussi narratif -ce qui nous fait un point commun.
RN : Je te renvoie cette idée de quelque chose de pictural ! Ce qui me plaît, c'est qu'il n'y a pas de cases chez toi. C'est pop. Point. Tu fais comme tu le sens, c'est instinctif -et ton travail sur les voix est singulier.

Comment le confinement vous fait-il travailler, de votre côté ?

RN  :Je travaille le live en ce moment, j'ai eu la chance d'obtenir une résidence au 106 avec des techniciens. Je suis assez casanier : ça ne change pas grand-chose dans ma pratique... Mais le live est un sacré boost.
M : A l'inverse, grand bouleversement pour moi. C'est le confinement qui m'a poussé à chanter. Du fait que les expos et mon travail d'art soient mis de côté, j'ai augmenté de 600% le temps que je consacre à ce projet. J'ai vraiment envie de continuer à le développer de façon aussi intense, même « après ».

*****************
instagram.com/whoismuseauinstagram.com/roches_noires_